UNE JOURNÉE DANS LA VIE D’UN SUPPLY chain manager EN 1ÈRE MISSION
Blog par Gilles Sinnaeve - avril 2018
Un nouveau jour se lève sur Masisi, petit village des montagnes perdu dans le Nord Kivu au Congo où j’ai élu domicile pour 6 mois. Je m’extirpe de mon lit en me demandant de quoi la journée sera faite. Tous les jours, de nouveaux problèmes à régler apparaissent ! Je me dirige vers la paillotte, d’où des conversations et une odeur de crêpes s’échappent. Nous avons de la chance que des nationaux s’occupent de nous, nous pouvons vraiment nous concentrer sur notre rôle au sein du projet sans nous soucier d’avoir des repas chauds, des vêtements propres ou de l’eau chaude pour notre douche quotidienne (stockée dans des frigos box.) C’est donc avec bonheur que je fais mon petit mélange entre eau chaude et eau froide jusqu’à la température idéale, en pensant à toutes les missions d’MSF qui n’ont pas notre confort – rudimentaire certes, mais existant.
Je quitte la base en annonçant mécaniquement mon lieu de départ et d’arrivée, puis je remets mon talkie à la ceinture. Je me dirige vers le bureau Supply. Ça fait maintenant 5 mois que je suis là et je sens que mes efforts commencent enfin à payer. Lentement, les barrières culturelles s’amenuisent, sans jamais disparaitre vraiment pour autant. Je peux entre autres me permettre une manière spécifique de dire bonjour à chacun, avec un petit mot à la clé. C’est avec mon équipe de 10 Supply que je suis le plus fier des avancées. Je répète quelques phrases en Swahili apprises par cœur ou simplement répétées et alterne les anecdotes sur ma vie d’avant avec les formations de manière à mieux les connaitre. Ils me font maintenant pleinement confiance pour prendre les décisions concernant l’ensemble du Supply pour ce projet énorme !
Quand j’y pense trop, ça me donne un peu le tournis. Je suis manager de 10 Congolais, gestionnaire des stocks médicaux et non médicaux et responsable de l’approvisionnement. Ma tâche consiste à approvisionner en matériel tout le projet, avec tout ce que ça implique. Cela inclut la gestion documentaire des commandes papier, un système informatique pour associer à chaque article disponible un prix et un fournisseur, l’encodage des commandes papier en commandes informatiques et le suivi de ces commandes. Une fois qu’elles sont arrivées, il est encore nécessaire d’assurer le transport des marchandises vers le bon stock / la bonne personne.
Beaucoup de responsabilité
Quand j’y pense trop, ça me donne un peu le tournis. Je suis manager de 10 Congolais, gestionnaire des stocks médicaux et non médicaux et responsable de l’approvisionnement. Ma tâche consiste à approvisionner en matériel tout le projet, avec tout ce que ça implique.
Je me rappelle des 3 premiers mois. Quand je ne savais pas quoi faire, je regardais d’un air perdu les nationaux qui font tourner le département au quotidien. Ils me répondaient inlassablement « Ça va aller, on a connu pire, respire. ». A partir de leurs conseils et de leur expérience, mes compétences techniques en Excel et en gestion de bases de données furent grandement sollicitées. Ce qui m’a permis une légitimité vis-à-vis de la communauté.
Cet aspect, je l’ai compris plus tard : les expatriés internationaux sont là pour apprendre des nationaux et dans la mesure du possible, leur donner un appui tout en les protégeant. Dans un contexte où la famille a une importance cruciale et désespérément besoin de rentrée d’argent, imaginez si un national était en charge du recrutement pour un poste vacant ? Cette position intenable lui attirerait foudre ou louange à parts égales dans la communauté et pourrait raviver des tensions, venant ainsi mettre à mal un équilibre qu’MSF tente d’apaiser au jour le jour dans la région. Nous sommes donc là pour les alléger des responsabilités qui pourraient les mettre en danger. Qu’en est-il du Supply ? Apposer ma signature sur le plus de documents possibles permet, en fait, de les laisser travailler sereinement.
1 / 3
Ce jour, le département Supply est en crise : plus moyen de remettre la main sur un colis alors que les papiers de réception ont bien été signés (sous leur responsabilité). Panique à bord, imaginez un peu, un national qui doit nourrir sa grande famille qui perd un colis qui vaut plusieurs centaines de dollars ? Heureusement, ces marchandises ont fini par être retrouvées, rangées par mégarde par une âme bien intentionnée mais à la mémoire courte.
Lassé après une grosse journée, je me retrouve dans ce camp, fait de taules et de contreplaqués que survolent de gros corbeaux à l’air moqueur. Comme d’habitude, il est difficile de « quitter le travail dans sa tête » vu l’ambiance : interdiction de sortir du camp pour des raisons de sécurité et un réel engagement de la part de l’équipe. Alors on travaille, beaucoup. Parce qu’on est là pour ça, puis parce de toute façon, il n’y a pas grand-chose d’autres à faire dans le coin !
Les weekends sont faits pour terminer calmement ce qu’on n’a pas eu le temps de finir dans la semaine, de décrocher un minimum du boulot en faisant un peu de sport ou de fêter avec l’équipe d’expatriés et de nationaux un heureux évènement : un anniversaire ou simplement encore une semaine de plus passée à Masisi. C’est fou comme il fait si calme dans ces montagnes.
Je me demande parfois si c’est vrai, ces troubles dans le Nord Kivu. Puis chaque semaine, on me raconte les mouvements de troupes autour de Masisi, la sécurité qui se dégrade… Puis j’entends les déplacements pour aller chercher les blessés dans cette région que je commence à connaitre… Je les entends quand je traverse l’hôpital pour aller au stock médical. Je me dis enfin que c’est bien le Supply. Un boulot technique qui supporte tout un projet sans être en première ligne. Parfait pour ma personnalité : responsable mais plutôt en appui, orienté vers la recherche de solutions à toute sorte de problèmes sans être en confrontation directe avec la violence.
Je pense alors à MSF-Supply, l’entrepôt en Belgique qui dessert l’ensemble des projets d’MSF Belgique dans lequel j’ai travaillé 2 ans avant cette mission. Il y avait ce documentaire tourné pour présenter MSF-Supply : « Les hommes de l’ombre ». C’est joli ça ! Je suis, comme tous ces gens de la chaine qui s’acharnent à faire parvenir des médicaments ou du matériel logistique aux régions les plus reculées et précarisées, un homme de l’ombre. Sans avoir la prétention de changer quoi que ce soit, non, mais au moins de lutter pour ces personnes, pour les nationaux qui travaillent au sein d’MSF d’une part, puis pour tous ces blessés de l’autre. C’est ça aussi MSF. Des gens qui s’acharnent à mettre un pansement trop petit sur une blessure trop grande. Et vous savez maintenant à qui incombe de trouver le pansement au meilleur prix, qualité et délai de livraison compris.