Aux îles grecques, en Belgique ou encore en Italie, la destruction du droit d'asile est programmée
Notre équipe qui travaille au hub humanitaire de Bruxelles a récemment rencontré Ahmed. Celui-ci a fui la guerre en Syrie, vécu l’horreur des camps en Grèce et le stress lié à l’exil et l’inconnu. Pourtant, aujourd’hui sa plus grande source d’anxiété est la complexité administrative en Europe. Dernier épisode de son périple, Ahmed n’est pas le bienvenu dans les centres d’accueil et doit chaque jour trouver où se loger. Bienvenue en Belgique.
Ahmed n’est pas le seul, il y a tous ceux qui arrivent chez nous à la recherche d’un avenir plus sûr, et qui trouvent une politique toujours plus restrictive. Chaque jour, MSF offre un soutien psychologique à ces personnes pour les aider à face à cette souffrance qui s’ajoute aux terribles expériences tout au long du voyage depuis leur pays d'origine.
Priver ces personnes d’un abri pendant leur demande d’asile est le résultat d’instructions données à Fedasil par Maggie de Block, secrétaire d’État en charge de l’asile et de la migration. Ces mesures visent à exclure du droit à l’accueil ceux qui, selon le règlement de Dublin, n’ont pas été renvoyés dans les délais dans le pays chargé d’examiner leur demande et de ceux qui ont déjà obtenu la protection internationale dans un autre pays de l’Union. Ces mesures visent à résoudre le problème de saturation du réseau d’accueil et les personnes concernées sont ainsi présentées comme des fraudeurs qui abusent de la générosité de la Belgique.
La réalité que nos équipes observent en Belgique, en Italie ou en Grèce est bien loin de ce portrait dressé par Maggie de Block. C’est pourquoi MSF et d’autres organisations ont saisi le Conseil d’Etat pour demander l’annulation de ces mesures.
2015 a vu l’arrivée d’un million de réfugiés et migrants en Europe, la plupart fuyant la guerre en Syrie ou en Afghanistan. MSF a apporté son aide humanitaire et médicale dans les pays d’origine, de transit et de destination, dont la Belgique.
La crise politique et humaine qui a suivi a exposé le manque de préparation et les graves déficiences des politiques d’asile et d’accueil en Europe, en particulier celles du règlement dit de « Dublin » qui définit quel pays est responsable d’étudier une demande d’asile. Les pays d’entrée comme la Grèce et l’Italie – qui selon Dublin sont responsables d’examiner la plus grande partie des demandes d’asile - ont vu leur système d’asile et d’accueil déborder par le nombre d’arrivées.
Bien que critiqué, le système Dublin n’est pas remis en question et la réponse actuelle repose principalement sur la dissuasion et la rétention aux frontières qui ne fait qu’empirer une situation inhumaine.
Sur l’ile grecque de Lesbos, 19.500 personnes sont aujourd’hui entassées dans des conditions ignobles dans le « hotspot » de Moria – centre de tri créé par l’UE - à la base pour 3500 personnes. La situation aujourd’hui y est bien pire qu’en 2015. La moitié de ces personnes sont des femmes et des enfants qui luttent pour garder un peu de dignité dans des tentes surpeuplées. Plusieurs personnes, dont des mineurs, y sont décédées ces derniers mois. Depuis l’accord entre l’UE et la Turquie, demander l’asile dans les îles grecques est devenu un combat quotidien contre un système labyrinthique qui vise à exclure et dissuader les demandes d’asile.
De plus, l’accès aux soins à Lesbos est aussi dramatiquement inadéquat qu’insuffisant. Ces dernières semaines, MSF a appelé les autorités grecques à évacuer d’urgence 140 enfants souffrant de maladies chroniques complexes dont l’état demande des soins qui ne sont pas disponibles sur l’île.
A Athènes, la situation n’est guère plus favorable. La majorité des patients de notre clinique pour les victimes de torture racontent qu’ils vivent dans des conditions précaires et dans la peur, y compris dans les camps gérés par les autorités. Beaucoup de ces patients sont sans abri, ce qui impacte gravement leur santé mentale. À Lesbos comme à Athènes, l’assistance de MSF reste insuffisante pour répondre au volume des besoins et à la détresse toujours plus grande des demandeurs d’asile et des réfugiés.
En Italie, autre pays de renvoi des candidats à l’asile selon « Dublin », un nombre grandissant de réfugiés et demandeurs d’asile se trouve également dans une situation de précarité importante. De moins en moins de ressources sont allouées au système d’accueil pour assurer une identification rapide et efficace des personnes vulnérables et leur offrir les conditions d’accueil et les soins auxquels elles ont droit. Même une fois reconnus comme réfugiés, beaucoup de personnes se retrouvent à la rue et sans aide à l’intégration.
De la Grèce à l’Italie, en passant par la Belgique, les demandeurs d’asile et réfugiés sont pris au piège d’une spirale infernale qui vise à restreindre le droit d’asile à peau de chagrin. Car on ne peut considérer qu’un droit d’asile est réel s’il n’est pas accompagné d’un accueil digne. En Belgique, les mesures annoncées participent d’une même stratégie qui vise à convaincre les personnes en besoin de protection à abandonner leur demande d’asile en Belgique.
Aujourd’hui, alors que d’autres pays européens s’engagent à relocaliser les rescapés secourus en Méditerranée, et certains demandeurs d’asile de Grèce, la Belgique reste aux abonnés absents.
C’est une logique qui punit les victimes pour l’échec des Etats. La Belgique peut continuer à fermer les yeux, les demandeurs d’asile ne disparaitront pas, leur fuite sera seulement plus longue et leur vulnérabilité encore plus grande.
Tant qu'il n'y a pas de solution durable pour des personnes comme Ahmed, MSF sera obligée de continuer à fournir une aide humanitaire dans des pays comme la Belgique, la Grèce et l'Italie, où la souffrance est souvent due au manque de volonté politique.