Non, la fin de l'épidémie de sida n'est pas encore en vue, bien au contraire
La dix-neuvième Conférence internationale sur le sida a eu lieu fin juillet à Washington et ses conclusions suscitent une vague d'optimisme. D'aucuns vont même jusqu'à parler d'une « génération sans sida » dans un avenir proche. Un rapport de l’ONUSIDA indique que 8 millions de patients à travers le monde bénéficient aujourd'hui d'un traitement antirétroviral (ARV). En 2011, quelque 1,4 million de personnes ont été mises sous ARV. Certes, ce sont là de bonnes nouvelles pour ces patients, mais à ce rythme, il sera totalement impossible de réaliser l'objectif fixé pour 2015 : soigner 15 millions de personnes affectées par le sida.
Et il y a d'autres raisons de tempérer cet optimisme ambiant. L'année dernière, 1,8 million de personnes sont décédées des suites de la maladie. Toujours en 2011, 2,5 millions de personnes ont été contaminées par le virus. Et à travers le monde, sept millions de personnes sont toujours urgemment dans l'attente d'un traitement... c'est-à-dire près de la moitié de tous les patients que l’on espére traiter d'ici 2015. Au Congo, où seulement un patient sur six nécessitant un traitement d’urgence y a effectivement accès, nous recevons des patients dans un état critique, qui ont désespérément cherché un traitement. Pour beaucoup d’entre eux, la maladie a tellement progressé qu'ils arrivent mourants sur le pas de notre porte.En Guinée, un pays dont les revenus sont parmi les moins élevés, 11.000 patients risquent de ne pas pouvoir poursuivre leur traitement car le manque de fonds retarde l'approvisionnement en ARV.
Or, dans le même temps, les bailleurs de fonds internationaux incitent de plus en plus les pays africains – encore et toujours les plus touchés par l'épidémie – à prendre en charge eux-mêmes la lutte contre le sida... sans augmenter leurs dons pour autant. Des organismes clés comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria sont aujourd'hui sous-financés, victimes du désintérêt croissant des bailleurs. La contribution de l'Union européenne au Fonds mondial lors du dernier round de financement a été inférieure à celle de l'avant-dernier round. Sa position publique – lutter énergiquement contre le sida – ne semble donc pas se traduire par une contribution financière accrue. Il en va de même pour la Belgique, qui dégage depuis des années toujours le même montant en faveur du Fonds mondial. Quant à notre gouvernement, nous attendons toujours qu'il fasse de la lutte contre le sida une priorité. Pour Médecins Sans Frontières, il est illusoire de croire que les pays africains sont en mesure de faire face à cette urgence vu leurs moyens limités.
Pourtant, de récentes études scientifiques ont montré que nous sommes désormais capables de maîtriser le virus. Nous savons à présent que le risque de nouvelles contaminations est réduit de 96% lorsqu'un patient est sous traitement. Le traitement des malades du sida peut donc prévenir efficacement de nouvelles contaminations. Cet effet préventif des ARV a déjà été mis en évidence à petite échelle. Cette année, Médecins Sans Frontières démarrera trois nouveaux projets afin de tester cette hypothèse dans un grand district africain.
Des pays comme le Zimbabwe et le Malawi, dont les taux de contamination sont parmi les plus élevés, ont récemment mis en pratique les nouvelles recommandations de l'Organisation mondiale de la Santé. Ils ont même revu à la hausse leurs ambitions et souhaitent aller plus loin, en testant les conclusions scientifiques récentes que nous venons d'évoquer. Mais confrontés à une terrible pénurie de fonds, leurs programmes nationaux risquent de devoir faire marche arrière.
Depuis dix ans, la lutte contre le sida a bénéficié de nombreuses avancées mais l'épidémie reste à ce jour une urgence de santé publique. Médecins Sans Frontières n'a d'autre solution que de développer et étendre ses projets sida pour faire face à cette urgence. Actuellement, l'organisation offre un traitement ARV à plus de 229.000 patients dans plus de vingt pays. Les nouvelles visions stratégiques pour endiguer réellement l'épidémie – combinant traitement et prévention – pourraient bien amorcer un réel tournant dans la lutte contre le sida. Mais il faut pour cela tester de toute urgence, et à grande échelle, ces hypothèses et il faut un engagement fort de la part des responsables politiques. Lors de la conférence de Washington, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a déjà annoncé que les États-Unis allaient investir 150 millions de dollars supplémentaires dans la lutte contre le sida afin de faire émerger une génération sans sida. Espérons que d'autres bailleurs suivront l’exemple.
Bart Janssens, Directeur des opérations
Médecins Sans Frontières