Monsieur le Président de la Commission européenne, Monsieur le Président du Conseil européen, Monsieur le Président du Parlement européen, Mesdames et Messieurs les dirigeants européens,
La guerre à Gaza a été autorisée à devenir l'une des guerres les plus choquantes, les plus meurtrières et les plus impitoyables menées contre un peuple. Les maisons, les hôpitaux, les marchés, les réseaux d'eau, les routes et les réseaux électriques de Gaza ont tous été démolis par les forces israéliennes, non pas par négligence, mais à dessein. Ce à quoi nous assistons, c'est l'éviscération/éradication calculée des systèmes mêmes qui soutiennent la vie. Il s'agit d'un nettoyage ethnique, enveloppé de la rhétorique de la défense de la sécurité, mais exécuté au mépris total des lois internationales humanitaires et des droits de l'homme.
Les atrocités quotidiennes à Gaza ne se déroulent pas dans l'ombre. Elles se déroulent sous nos yeux. Elles sont d'une brutalité éhontée.
Depuis plus de 20 mois, les autorités et les forces israéliennes mènent une campagne punitive contre les Palestiniens de Gaza. Chaque jour, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) assistent à ce qui s’apparente à des actes génocidaires perpétrés délibérément par les forces israéliennes, notamment des massacres, la destruction d'infrastructures civiles vitales et des blocages empêchant l'accès à la nourriture, à l'eau, aux médicaments et à d'autres fournitures humanitaires essentielles. Israël détruit méthodiquement les conditions nécessaires à la vie des Palestiniens.
Une récente enquête rétrospective sur la mortalité menée par MSF et Epicentre, sa branche dédiée à l’épidémiologie, a montré que près de deux pour cent des membres de notre personnel à Gaza et de leurs familles sont décédés depuis le 7 octobre 2023. Les trois quarts d'entre eux ont succombé à des blessures liées à la guerre. Ce ratio est cohérent avec les chiffres du ministère de la Santé à Gaza, qui indique que 55 000 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza jusqu'au 4 juin de cette année. Dans l'enquête de MSF, 40 % des personnes décédées des suites de leurs blessures étaient âgées de moins de dix ans. Ce mépris pour la vie des civils montre que la guerre menée par Israël à Gaza est dirigée contre les Palestiniens dans leur ensemble.
Le 11 juin, la clinique Al Mawasi, soutenue par MSF, a reçu 32 blessés, dont trois personnes décédées à leur arrivée. Elles avaient été abattues alors qu'elles se rendaient sur un site de distribution de nourriture, géré par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF).
Il ne s'agit pas d'un incident isolé.
Trois jours plus tôt, les équipes de l'hôpital Nasser avaient reçu 40 patients, dont la plupart souffraient de blessures par balle. Il s'agit du principal hôpital de référence pour des milliers de patients dans le sud de la bande de Gaza et il est à peine capable de continuer à fonctionner, en raison des ordres d'évacuation répétés et des restrictions de mouvement imposées au personnel et aux patients. Les organisations humanitaires ont mis en place des hôpitaux de campagne pour combler le vide, mais cela ne peut en aucun cas remplacer les hôpitaux réguliers. Ces dernières semaines, les équipes de MSF ont admis plus de 500 patients nécessitant des soins médicaux à l'hôpital Nasser et ont aidé le personnel médical de l'hôpital à faire face à l'afflux massif et répété de blessés dû aux bombardements et aux attaques incessantes.
GHF a lancé ses activités le 27 mai, dans le cadre d’un plan israélo-américain d'instrumentalisation de l'aide. Depuis lors, des centaines de Palestiniens ont été soignés dans des hôpitaux et des dizaines d'autres ont été tués après avoir été abattus sur ces sites de distribution d'aide alors qu'ils attendaient de recevoir des produits de première nécessité pour survivre. Comme nous l’a rapporté un de nos collègues à Gaza, certaines personnes revenaient des sites de distribution avec un sac de farine, d'autres avec un linceul.
L'aide humanitaire est en train d'être militarisée. Soit elle est un levier pour déplacer de force des populations, pour atteindre des objectifs militaires, soit elle est totalement empêchée. L'aide n'est pas une monnaie d'échange. C'est un moyen de survie. La refuser est une punition collective, un crime de guerre.
Depuis octobre 2023, les soins de santé ont été constamment attaqués, le personnel et les patients de MSF ont été contraints de quitter au moins 18 structures de santé différentes et ont subi 50 incidents violents, notamment des frappes aériennes contre des hôpitaux, des obus de chars tirés sur des abris préalablement signalés, des offensives terrestres dans des centres médicaux et des convois visés par des tirs. Onze de nos collègues ont été tués. Nous ne sommes pas les seuls à avoir vécu ces attaques ; elles se sont produites dans l'ensemble du spectre humanitaire. Elles s'inscrivent dans le mépris systématique du droit international humanitaire (DIH), notamment de la résolution 2286 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la protection de la mission médicale.
MSF, comme beaucoup d'autres organisations, a appelé à plusieurs reprises à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, à un accès humanitaire sans entrave et au respect du droit international humanitaire - y compris pour les installations et le personnel médicaux - par toutes les parties, y compris le Hamas. Mais cet assaut militaire, contre un peuple assiégé, fait rage et devient de plus en plus brutal.
L'Union européenne et les gouvernements européens disposent de moyens politiques, économiques et diplomatiques capables d'exercer une pression réelle sur Israël pour qu'il mette fin à cette offensive et ouvre les points de passage de Gaza à l'aide humanitaire sans entrave. Il ne s'agit pas d'instruments théoriques ; ils peuvent être mobilisés efficacement pour défendre le droit international et protéger les civils.
L'Union européenne et nombre de ses dirigeants ont récemment choisi de réprimander Israël, mais ces paroles sonnent creux, car ils ne prennent pas les mesures concrètes nécessaires pour mettre fin au massacre et continuent hypocritement à fournir à Israël des armes qui tuent, brûlent ou handicapent à vie les personnes qui arrivent dans nos hôpitaux. Cela doit cesser.
Il n'y a jamais eu de temps pour l'hésitation et les doubles standards inhumains. Vos paroles et vos actions sont un test de votre crédibilité et de votre leadership. Le moment est venu de définir votre héritage et de déterminer si les lois destinées à protéger les civils en temps de guerre ont encore un sens. Cela exige du courage politique, de la responsabilité juridique et un engagement moral. L'ampleur de la souffrance à Gaza exige plus qu’une rhétorique vide.
Tout retard, toute équivoque et toute politique qui permet à la machine de dévastation d'avancer en toute impunité est un acte de complicité.
Nous demandons instamment à l'Union européenne et à ses 27 États membres d'agir de manière décisive et d'utiliser enfin l'influence qu'ils ont sur Israël afin de :
- LEVER LE SIÈGE
Le blocage de l'aide vitale n'est pas une mesure de sécurité légitime, c'est un crime de guerre. Les allégations de détournement de l'aide ne sauraient justifier la privation de l'aide à plus de deux millions de personnes. Il s'agit d'une punition collective. Chaque retard coûte des vies.
- DÉFENDRE L'ACTION HUMANITAIRE
Rejeter tout mécanisme qui instrumentalise l'aide ou utilise l'aide humanitaire comme monnaie d'échange. L'aide doit être basée sur les besoins. Les politiques qui subordonnent l'aide à une stratégie militaire ne sont pas seulement cyniques, elles sont mortelles.
- DES ACTIONS PLUTÔT QUE DES MOTS
De nombreux gouvernements européens ont évoqué les atrocités effroyables perpétrées par Israël à Gaza, mais ils continuent d'envoyer les armes qui tuent nos patients et nos collègues. Les gouvernements doivent mettre fin à leur complicité dans cette campagne de nettoyage ethnique.
- RENFORCER LES ÉVACUATIONS MÉDICALES
Aujourd'hui, environ 13 000 personnes, dont plus de 4 500 enfants, ont toujours un besoin urgent d'évacuation médicale, avec un droit au retour. Cependant, malgré ces besoins et la capacité avérée de l'Union européenne, seules quelques centaines de patients ont été accueillis par les États membres européens. Les États membres doivent faire davantage pour montrer que la solidarité n'est pas qu'une question de mots.
Vous pouvez et devez agir maintenant.
Dr Christos Christou, Président de MSF International
Christopher Lockyear, Secrétaire Général, MSF International