“Nous nous sentons humbles face à leur courage” : un jour dans la Clinique à bord de l’Ocean Viking
"Après chacun des quatre sauvetages que nous avons effectués, notre équipe médicale examine les besoins médicaux des personnes secourues. En plus de l'évaluation des cicatrices physiques, des plaies et d'autres conditions nécessitant une attention médicale immédiate, nous identifions ceux qui ont besoin d'un soutien psychologique supplémentaire.
Lorsque les personnes secourues arrivent à bord de l'Ocean Viking, elles sont complètement épuisées. Elles ont passé de nombreuses heures en mer, sans sommeil, sans eau et sans nourriture. Immédiatement après l’embarquement, les patients souffrent généralement de déshydratation, d’une faiblesse physique générale, de vertiges, d’hypo ou hyperthermie et de brûlures - principalement causées par le carburant ou le soleil.
Après les premières 24 heures, les gens commencent à se remettre de ces symptômes initiaux. Mais, dans les jours qui suivent, ils continuent à venir vers nous avec des conditions mineures, qui peuvent être des douleurs corporelles générales, des nausées, des douleurs abdominales ou un sentiment de faiblesse. Ces symptômes sont souvent psychosomatiques, ce qui signifie que le corps réagit physiquement à un traumatisme psychologique auquel l'esprit a du mal à faire face.
Détecter les traumatismes
C’est souvent lors des premières consultations pour des maux, des plaies ou des cicatrices que nous sommes en mesure d’identifier les personnes souffrant de stress mental. Nous voyons que les gens s'égarent souvent dans leurs pensées. Ils développent des réactions qu’on n’attendrait pas d’autres patients. Cela pourrait être une sensibilité plus ou moins forte à la douleur ou au toucher lors des examens physiques, une prudence excessive ou même des réactions physiques inhabituelles à certains médicaments.
Le traumatisme vécu par les personnes secourues n'est souvent pas lié à un événement isolé. Parfois, cela résulte de l'accumulation de diverses situations auxquelles elles ont été exposées depuis leur enfance. Beaucoup nous disent qu'elles ont grandi dans des zones touchées par le conflit et ont dû fuir avec leur famille. Certains ont perdu des parents et ont effectué ce dangereux voyage à travers le désert et la Libye sans être accompagnés.
La plupart des mineurs que nous avons à bord n'ont jamais compris ce que cela signifie et ce que cela fait de vivre dans un endroit sûr et stable, ou ce que c'est que d'avoir un endroit où jouer en sécurité. Ce qu'ils savent très bien, c'est comment on se sent toujours quand on est entouré d'inquiétude et d'incertitude et en mouvement. Au cours de la conversation, nous avons souvent l'impression que ce mode de vie est devenu « normal » pour eux.
Ecouter ce qu’ils ont à dire
Nous avons maintenant 356 personnes à bord et il est important de passer du temps avec chaque personne. Certaines d’entre elles n’ont pas été en contact avec leur famille et leurs amis depuis longtemps. La consultation médicale à bord du navire de sauvetage peut parfois être la première fois que des personnes sont entendues ou traitées avec respect depuis longtemps.
Certaines d'entre elles viennent dans notre clinique et fondent en larmes parce qu'elles ne sont pas habituées à attirer l'attention ou à être respectées. Certaines pensent qu’elles ne méritaient pas l’attention - que ce soit médical ou non.
Un jeune homme qui s’est toujours senti invisible, peut-être pour la première fois de sa vie, raconte son histoire après avoir souffert en silence pendant très longtemps. À la clinique, nous avons le privilège de disposer d’un espace sécurisé propice aux moments de discernement. Nous nous sentons humbles face à leur courage. Et nous écoutons ce qu'ils ont à dire.
Dans notre clinique à bord de l’Ocean Viking, nous traitons les blessures et les affections physiques et essayons autant que possible de proposer un minimum de premiers secours psychologiques. Mais ce dont ils ont réellement besoin, c’est un soutien psychologique plus large que tout ce que nous ne pourrons jamais fournir en si peu de temps à bord du navire.
Après toutes leurs expériences et le parcours traumatisant qui les séparait de leur pays d'origine, en passant par la Libye et par un canot pneumatique, tout retard qui leur permet de débarquer dans un port de sécurité les exposerait à nouveau à l'incertitude et à l'angoisse: ils se sentiraient sans valeur et pas les bienvenus "