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Bénévole dans une maison de repos pendant quatre jours : « beaucoup de bonne volonté mais un manque flagrant de personnel »

Country
Belgique
Theme
Covid-19

Lors du pic de la deuxième vague de COVID-19, des employés de MSF ont prêté main forte, sur une base volontaire, à quelques maisons de repos belges complètement débordées. Catherine Van Overloop, vice-directrice médicale de MSF Belgique, était l’une d’entre eux. Durant quatre jours, elle a travaillé dans une maison de repos bruxelloise, où tant le personnel que les résidents étaient accablés par la crise. Catherine nous parle de son expérience.

« Durant la première vague, MSF Belgique a formé le personnel des maisons de repos pour faire face à la pandémie. Mais ces formations se sont avérées inutiles lors de la deuxième vague. Les membres du personnel savaient comment gérer la situation. Mais ils n’étaient tout simplement pas assez nombreux ! Et c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui, le 21 janvier. Alors que faire ? Recruter n’est pas une option, car ces profils spécifiques ne courent pas les rues. Mais MSF compte bien sûr dans ses rangs de nombreux médecins et infirmiers. Alors pourquoi ne pas nous porter volontaires pour aider quelques maisons de repos, ne fut-ce que pendant quelques jours ? C’est ainsi que j’ai atterri, avec plusieurs collègues, et même notre CEO, dans une maison de repos belge. »

Que faisiez-vous exactement dans cette maison de repos ?

J’ai travaillé dans deux départements pendant quatre jours d’affilée, du samedi au mardi. Nous avions décidé que les bénévoles devaient être disponibles durant au moins trois jours. Sinon, les maisons de repos auraient dû faire face à un flux continu de nouveaux collaborateurs… Et bien sûr, il faut aussi un peu de temps pour s’adapter et être vraiment productif. Les deux premiers jours, j’étais active dans un département où tout le monde, à part une personne, était positif au COVID-19. Il y avait de nombreux patients vraiment très malades. Les deux jours suivants, je me suis rendue dans un département où le pire était déjà passé, avec un mélange de patients COVID et d’autres résidents. Pendant trois jours sur les quatre, j’ai travaillé comme aide-soignante et j’ai aidé à laver, habiller et donner à boire et à manger aux résidents. Il faut savoir que ces tâches aussi requièrent une expertise médicale : il n’est par exemple pas sans danger de faire boire ou manger une personne qui a des difficultés à avaler. Le dernier jour, j’ai assisté l’infirmière, qui avait beaucoup trop de travail pour une seule personne et ne serait autrement pas venue à bout de ses shifts.

Comment la deuxième vague a-t-elle affecté le personnel ?

On voyait bien que le personnel était déjà en sous-effectif, qu’il était épuisé. Certains collègues étaient absents depuis longtemps, pour maladie, fatigue, etc. Dans le meilleur des cas, ils étaient remplacés par des intérimaires. Cela a bien sûr un impact sur le reste du personnel et sur l’ambiance. On ne pouvait pas vraiment dire qu’une bonne ambiance régnait au sein de l’équipe, car beaucoup de collègues n’étaient présents que par intermittence et les autres étaient exténués.

Le COVID-19 a aussi chamboulé les méthodes de travail. Dans la maison de repos où j’ai travaillé, un collaborateur est normalement assigné à un étage, ce qui était impossible durant la deuxième vague. Cela a engendré beaucoup de frustration, notamment parce qu’en arrivant au travail le matin, les collaborateurs ne savaient pas à quel étage ils seraient envoyés. Ils ne connaissaient pas toujours non plus les résidents de l’étage en question et ne pouvaient plus tisser de liens avec eux.

Ce qui m’a le plus frappée, c’est que, chaque jour, c’était une véritable course contre la montre pour arriver à boucler tout le travail. Dans ces conditions, l’épuisement est inévitable. Mais malgré la fatigue, et la période difficile, on voyait quand même clairement que de nombreux collaborateurs étaient complètement dévoués à leur métier et qu’ils faisaient tout leur possible pour s’occuper aux mieux des résidents. Au point parfois d’en oublier de manger.

Et les résidents ?

Ah, les résidents… C’était pénible à voir. Le virus circulait tellement qu’ils n’étaient plus autorisés à quitter leur chambre et les visites étaient extrêmement limitées. Le premier jour où j’ai travaillé, le samedi, j’ai été témoin d’une dispute. Deux résidentes étaient très contrariées. La goutte qui a fait déborder le vase, c’était une histoire de nourriture, mais il y avait bien sûr déjà beaucoup de frustration accumulée. Quand je me suis rendue dans la chambre de la dame un peu plus tard, je m’en suis d’abord pris plein la figure. Mais après 10 minutes, elle a retrouvé son calme et m’a dit : « merci, vous êtes la seule personne avec qui j’ai pu parler plus de deux minutes cette semaine ». Ca m’a bouleversée. Mais c’est la réalité. Presqu’aucune visite, presque plus d’interactions sociales… Les résidents voient le personnel, mais tout le monde est si anxieux. L’un des aides-soignants m’a dit : « Une partie importante de notre mission consiste à discuter avec les résidents, leur apporter de l’eau, faire un brin de causette… Et on ne peut plus le faire. »

Quel est le besoin le plus criant, selon vous, en ce moment ?

Une maison de repos n’est pas équipée pour faire face à une telle hausse du nombre de malades. Normalement, par shift, un infirmer est prévu pour fournir les soins médicaux classiques, mais il ne peut pas s’occuper d’autant de malades. Le fait de garder les résidents plus longtemps dans la maison de repos et de les y soigner quand ils sont malades présente de nombreux avantages. C’est pourquoi on les envoie le moins possible à l’hôpital. Mais, dans ce cas, les maisons de repos devraient recevoir de l’aide pour soigner ces malades correctement. Il devrait par exemple y avoir plus d’infirmiers ainsi qu’un médecin sur place, afin de pouvoir intervenir plus rapidement, au lieu de devoir appeler des médecins externes ou l’ambulance. Le système actuel fonctionne peut-être en temps normal, mais pas en pleine pandémie. De plus, il serait peut-être possible de former les bénévoles à l’avance, juste au cas où. Il y a quand même beaucoup de personnes en Belgique qui ne demandent qu’à aider. Il faudrait organiser des formations aux mesures de prévention et de contrôle des infections, afin qu’elles puissent fournir des soins adaptés en cas de besoin. Nous devrions nous préparer, dans l’éventualité où une telle pénurie de personnel se reproduirait.

Et comment vous sentiez-vous, après une telle journée de travail ?

Chacun de mes shifts durait 8 heures, ce qui n’est pas un souci en soi. Mais le travail était très physique, et je n’y suis clairement plus habituée. Je fais un travail de bureau ! (rires). C’était de longues journées debout à soulever des personnes, les laver, les habiller… Le premier jour a aussi été très lourd sur le plan émotif. Même si on voit ce qui se passe à la télé, c’est quand même une toute autre histoire de le vivre en vrai et d’être confronté à tous ces problèmes. Mentalement, c’était très dur d’arriver à digérer tout ça. J’ai commencé à me demander si la théorie était réellement applicable dans la pratique : les patients sont-ils transférés à temps à l’hôpital, est-il vraiment possible de faire tout cela avec les capacités actuelles… ?  Mais le lendemain, j’ai discuté avec l’infirmier en chef, un homme au grand cœur. Il m’a assuré que, malgré les contraintes, ils faisaient tout ce qu’il fallait.

Que retiendrez-vous ?

Après deux jours seulement, vous nouez déjà des liens avec les résidents. Et dans les vestiaires, on entend les collègues parler de « monsieur X » et « madame Y ». On réalise alors à quel point tout le monde se soucie vraiment des résidents. J’en ai réellement pris conscience lorsqu’une dame dont je m’occupais assez souvent m’a subitement annoncé qu’elle devait aller à l’hôpital. Elle m’a dit qu’elle avait peur mais « qu’elle ne voulait quand même pas mourir ». « Alors vous devez aller à l’hôpital », lui ai-je répondu. « Car pendant les quelques heures où on ne s’est pas vues, mes collègues ont constaté que vous deviez aller à l’hôpital. » J’ai trouvé cela particulièrement réconfortant de savoir que, malgré la crise, le système continuait à fonctionner. Mais il n’est quand même pas évident pour les maisons de repos de réagir correctement à la crise, compte tenu du manque d’effectifs, de la pénurie de matériel, de connaissances et de toutes les contraintes. Et pourtant, le personnel continue de se battre sans relâche pour les résidents. »