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JOURNAL DE NOTRE INFIRMIÈRE À BORD DU TRAIN D'ÉVACUATION EN UKRAINE

Il y a plusieurs années, l'infirmière Karen Desmedt a travaillé avec Médecins Sans Frontières en Haïti, en Somalie et dans le cadre des épidémies d'Ebola. Elle a progressivement laissé derrière elle la vie effrénée "sur le terrain" (comme on dit ici) et a commencé à travailler à l'hôpital universitaire d'Anvers en plus de s'occuper de ses enfants. Mais lorsque la guerre en Ukraine a éclaté dans toute sa férocité, Karen n'a pas pu être arrêtée. Après toutes ces années, elle est retournée en zone dangereuse afin d'apporter sa contribution. Voici son journal intime.

Écrit par Karen Desmedt

Karen a travaillé comme infirmière responsable dans notre train d'évacuation médicale en mars et avril 2022. Elle a dirigé 5 évacuations avec le médecin urgentiste Stig Walravens et une équipe jeune et enthousiaste d'infirmières ukrainiennes.

SAMEDI 5 MARS : DÉPART DE LA BELGIQUE, DESTINATION L'UKRAINE

Après avoir atterri à Varsovie, nous prenons directement la route pour Lublin, une ville assez proche de la frontière avec l'Ukraine. La route qui y mène est assez déprimante : de vastes étendues de faible altitude recouvertes d’herbe gelée, de buissons et d’arbres morts, et un couvercle de lourds nuages gris. À Lublin, nous rencontrons pas mal de membres de l'équipe. Parmi eux, beaucoup de Polonais qui travaillent pour Médecins Sans Frontières depuis des années et qui voulaient absolument nous prêter main-forte. L’ambiance est chargée d’émotions ; une chose est sûre, cette guerre ne laisse personne indifférent.

MARDI 8 MARS : « IL ME SEMBLE QUE NOUS SOYONS VRAIMENT LES BIENVENUS »

Départ pour Lviv en Ukraine, enfin. Nous rejoignons Medika en voiture et faisons le reste de la route à pied jusqu’à la frontière. Nous devons franchir deux postes-frontières, le poste polonais d’abord, puis l’ukrainien. Au deuxième poste-frontière, une dame à la mine sévère nous demande nos passeports avec autorité. « Reporter ? Journaliste ? », demande-t-elle. « Non, nurse with MSF ». Son expression change brusquement, elle nous sourit et nous dit « welcome! ». La personne qui aurait dû contrôler nos bagages nous dit « no, no » et d’un signe, nous indique que nous pouvons passer. Il me semble que nous soyons vraiment les bienvenus.

Une fois la frontière passée, nous nous rendons directement à Lviv. Là-bas, je travaillerai dans un entrepôt pendant les premiers jours. Notre super chirurgien qui a notamment travaillé en Syrie, à Gaza, en Afghanistan et au Yémen est également présent. Cela lui fait plaisir d’apprendre que nous allons travailler ensemble à l’entrepôt, pour préparer le matériel pour les hôpitaux de Kyiv. C’est à Haïti que j’ai rencontré Martial. Il a 73 ans mais il est toujours aussi en forme. C'est un homme charmant avec une grande expérience. Je suis heureuse qu'il soit ici avec nous, mais j'espère qu'il rentrera sain et sauf (et moi aussi d’ailleurs ).

JEUDI 10 MARS : INQUIÉTUDES QUANT AUX STOCKS DE MÉDICAMENTS CONTRE LA TUBERCULOSE

Après plusieurs jours de travail dans l’entrepôt, nous partons maintenant pour le terrain pendant quelques jours. Nous visitons un certain nombre d'hôpitaux de la région pour évaluer leurs besoins en matériel médical et examiner le type de formation que nous allons pouvoir y dispenser. Le premier hôpital se trouve dans la ville de Zhytomyr, où nous menons depuis des années un projet sur la tuberculose multirésistante. Nous connaissons bien les hôpitaux et les autorités ici. Utile. Le personnel s'inquiète de l'approvisionnement en médicaments pour ses patients atteints de tuberculose. Nous pouvons les rassurer tout de suite : nous avons encore assez de médicaments

pour plusieurs mois. Après quelques appels téléphoniques, le transport est organisé et quelques jours plus tard, ils confirment que les médicaments sont arrivés. Une logistique solide !

Het team van jonge, enthousiaste Oekraïense verpleegkundigen staat te popelen om te vertrekken aan het station
L'équipe de jeunes infirmières ukrainiennes enthousiastes est impatiente de commencer à travailler à la station. Ils s'avéreront précieux pour la réussite du projet de train.. © Karen Desmedt

JEUDI 17 MARS : "SI ÇA ROULE, ÇA ROULE"

Nous constatons que les besoins se concentrent surtout sur la zone autour de Zhytomyr, plus proche de la ligne de front vers Kyiv. Le directeur de l'hôpital de Korostychiv semble sous le choc. Il a déjà accueilli un certain nombre de blessés venant d’hôpitaux de première ligne encore plus proches de la ligne de front. Il nous a montré la photo d'un enfant de cinq ans blessé au bras, amené par des soldats ukrainiens. On y voit un enfant amputé du bras droit, lequel est par terre. Cet hôpital a besoin de matériel et de formation pour la prise en charge des ‘mass casualties’ (accueil, triage et traitement simultané d’un grand nombre de victimes). Ils ont reçu du matériel entre-temps et la formation est en cours. Il est déjà question d'y installer une équipe chirurgicale.

Je suis en train de préparer – sur papier – un train pour évacuer les blessés de l'est vers Lviv. Apparemment, à Bruxelles, on travaille sur un deuxième train plus équipé, qui disposerait même de lits de soins intensifs. Mais nous sommes déjà en train d’en préparer un "quick and dirty", pour commencer l’évacuation dès que possible. Les trains semblent sortis tout droit d’une autre époque, il y a même un ouvrier qui remplit le brûleur de charbon pour chauffer le train ! Mais si ça roule, ça roule.

JEUDI 31 MARS : NOTRE PREMIÈRE ÉVACUATION DE CIVILS PAR TRAIN MÉDICALISÉ

Cela n’a pas été une mince affaire de réunir tout le matériel – médical et logistique – pour le train, mais nous y sommes arrivés : pour preuve, j’écris ces lignes pendant cette première évacuation.

Les quatre familles que nous évacuons sont originaires de Marioupol. La première a essuyé des tirs alors qu’elle quittait la ville. Le garçon de 14 ans a été le plus grièvement blessé : tous ses membres sont fracturés et maintenus provisoirement par des fixateurs externes. Nous le transportons dans un autre hôpital pour la suite de son traitement. La maman est indemne. Je ne sais en revanche pas dans quel état sont les autres membres de leur famille.

Deuxième famille. Un homme âgé avec une fracture de la hanche qui a vécu pendant un mois dans sa cave avec sa femme. Avec une amie et trois chats, le couple a trouvé un moyen de fuir Marioupol en direction de Zaporijjia. J’ai comme l’impression que tout le monde aime bien les animaux domestiques dans le coin.

La troisième famille a elle aussi été attaquée alors qu’elle quittait Marioupol par la route. Le fils, âgé de 3 ans, a été blessé, mais il récupère bien. J’ai voulu le distraire en gonflant un gant pour en faire un ballon de jeu. Il doit trouver ça nul puisqu’il a l’air de préférer faire des jeux sur sa tablette . Il avait été admis dans un hôpital pédiatrique et c’est sa grand-mère qui s’était occupée de lui, car elle n’avait pas été blessée. En revanche, sa maman, son papa et son tonton ont été blessés ; ils ont été pris en charge dans un autre hôpital. Dans notre train, le petit garçon et ses parents ont pu enfin être réunis. Ces retrouvailles sont bien émouvantes. Merveilleux à voir.

perron
Karen a aidé à organiser un total de 5 évacuations. En train, nous évacuons (encore) les traumatismes et autres patients de l'est vers Lviv, loin du front, où nous transférons les patients vers des hôpitaux pour des soins supplémentaires. © Karen Desmedt

Il y a aussi des blessés graves dans la quatrième famille. La mère présente surtout des blessures au visage ; elle a perdu un œil. Sa propre mère a été blessée à la tête. Le père et les deux autres enfants sont indemnes. Ici, mon gant-ballon a plus de succès. Chaque fois que je passe voir s’ils vont bien, on fait quelques passes ensemble.

Nous voilà donc en route vers Lviv où les quatre familles seront transférées à l’hôpital. Beau travail, si je peux me permettre. Je suis très reconnaissante de voir sur leur visage qu'ils se sentent enfin en sécurité. Mieux encore, nous avons évité que les familles ne soient séparées.

Deuxième famille. Un homme âgé avec une fracture de la hanche qui a vécu pendant un mois dans sa cave avec sa femme. Avec une amie et trois chats, le couple a trouvé un moyen de fuir Marioupol en direction de Zaporijjia. J’ai comme l’impression que tout le monde aime bien les animaux domestiques dans le coin.  

La troisième famille a elle aussi été attaquée alors qu’elle quittait Marioupol par la route. Le fils, âgé de 3 ans, a été blessé, mais il récupère bien. J’ai voulu le distraire en gonflant un gant pour en faire un ballon de jeu. Il doit trouver ça nul puisqu’il a l’air de préférer faire des jeux sur sa tablette 😊. Il avait été admis dans un hôpital pédiatrique et c’est sa grand-mère qui s’était occupée de lui, car elle  n’avait pas été blessée. En revanche, sa maman, son papa et son tonton ont été blessés ; ils ont été pris en charge dans un autre hôpital. Dans notre train, le petit garçon et ses parents ont pu enfin être réunis. Ces retrouvailles sont bien émouvantes, ça fait du bien de voir ça.     

Il y a aussi des blessés graves dans la quatrième famille. La mère présente surtout des blessures au visage, elle a aussi perdu un œil. Sa propre mère a été blessée à la tête. Le père et les deux autres enfants sont indemnes. Ici, mon gant-ballon a plus de succès. Chaque fois que je passe voir s’ils vont bien, on fait quelques passes ensemble. 

Nous voilà donc en route vers Lviv où les quatre familles seront transférées à l’hôpital. Je me dis in petto qu’on a fait ça comme des chefs.  Je suis vraiment contente de pouvoir voir à leur visage que ces personnes se sentent enfin en sécurité. Mieux encore, nous avons évité que les familles ne soient séparées. 

L'URGENTISTE STIG VOUS MONTRE COMMENT TRANSPORTER UN PATIENT EN TRAUMATOLOGIE.

Un médecin urgentiste est toujours présent dans le train médical. Stig Walravens a déjà travaillé avec nous lors des violents combats à Kunduz, en Afghanistan, l'année dernière. Dans cette vidéo brute du train, il donne une formation à l'équipe d'infirmières ukrainiennes. Il leur montre comment transporter rapidement et en toute sécurité un patient blessé.

LUNDI 4 AVRIL - PLUS À L'EST, VERS KRAMATORSK

Aujourd'hui, nous sommes partis pour Kramatorsk, une ville située au-dessous de Kharkiv et au-dessus de Donetsk. Je ne suis pas encore allée aussi loin vers l'est et je suis quand même un peu nerveuse.

Deux infirmières ont renforcé notre équipe : l'une a fait tout le trajet en voiture, de Kyiv à Lviv, afin d’arriver à temps pour le train. La seconde est encore très jeune, 23 ans. Très inquiète, sa famille préférerait qu’elle renonce à ce projet, mais elle n'en démord pas : « C'est la seule façon pour moi d'aider mes compatriotes ». Cette passion est belle à voir mais je suis aussi un peu inquiète pour tous « mes » jeunes pleins d’enthousiasme.

Nous serons bientôt à Kramatorsk. Les patients que nous devons évacuer aujourd'hui sont principalement des personnes âgées souffrant de maladies chroniques. Kramatorsk n'est pas si loin de la ligne de front, donc ce que nous allons faire, en fait, c'est libérer de la place pour que les hôpitaux de l'est puissent recevoir de nouvelles victimes.

[...]

Nous avons maintenant 17 patients à bord. Sa mobilité étant réduite, un homme de 82 ans n'a pas pu s'abriter dans le sous-sol et est resté en surface. Résultat : il a perdu un bras. J'ai l'air un peu cynique, je suppose que c'est une manière de compenser. Pardon. Une autre femme a perdu son œil à cause de projections de débris.

Nous les avons tous installés, nous les avons soignés, et maintenant ils prennent même leur deuxième repas en trois heures. Je n'ai pas besoin de vous dire que les gens sont très heureux d’être enfin soignés. Demain, nous recevrons d'autres patients, atteints de pathologies graves en principe.

perron

MERCREDI 6 AVRIL : ADMIRATION POUR MES COLLÈGUES UKRAINIENS

Nous sommes actuellement sur le chemin du retour vers Lviv... avec une voiture débordant de patients gériatriques. Normalement, nous aurions dû prendre 18 patients trauma, mais à Kramatorsk, des patients âgés ne cessaient d'arriver. Ils avaient évacué une maison de retraite entière, je crois. Nous avons maintenant 41 seniors avec nous et un jeune homme blessé - alors que nous n'avons qu'une capacité de 32 personnes. Cela a été un vrai défi de trouver une place pour

toutes ces personnes âgées. Mes jeunes équipiers s’en sont chargés avec beaucoup de courage. Je leur ai vite appris à changer les couches d'une manière rapide et propre et ils le font sans broncher. Changer les couches, emmener les personnes aux toilettes, les aider à entrer et sortir du lit, écouter patiemment toutes les histoires... rien n'est de trop pour eux.

Je n'ai pas de mots pour décrire l'engagement de mes jeunes collègues ukrainiens. J'ai une telle admiration et un tel respect pour eux. Des jeunes qui choisissent ce projet contre la volonté (traduction : l’inquiétude) de leur famille parce qu'ils y croient vraiment... je ne pense pas qu'on puisse faire plus fort que ça.

La nuit a été assez calme. J’ai fait la plus grosse partie de la nuit parce que, pendant la journée, je suis plutôt inutile, car je ne comprends pas un iota de ce que disent nos patients. Mes collègues effectuent donc le service de jour. Lorsque nous traversons Kyiv à midi, nous nous arrêtons une heure. Une patiente a dû être opérée en urgence. Alors que nous sommes arrêtés, nous recevons un visiteur de haut rang : le grand patron des chemins de fer ukrainiens veut voir le train à tout prix. Je pense qu'il est impressionné : en tout cas, nous ne sommes pas autorisés à partir avant qu'il ait rendu hommage à tout le personnel et aux patients. Et nous avons droit à un festin : des boulettes avec des oignons frits, des petites salades avec des espèces de nouilles sautées. Tout le monde est content. Nous apprenons qu'à partir de maintenant, nous serons toujours nourris lorsque nous passerons par Kyiv : il nous suffit de passer un coup de fil pour prévenir que nous arrivons et un repas nous attendra.

Nous arrivons à Lviv vers 20 heures. Nettoyer le train, dormir, rassembler encore un peu de matériel demain et partir pour Dnipro. Cette fois, nous allons évacuer les enfants blessés. À en juger par la liste, ils sont gravement atteints et le voyage sera encore une fois difficile.

Het team aan boord van onze trein

VENDREDI 8 AVRIL : "PLAN B, ALORS"

Le lendemain de notre voyage en train à Kramatorsk, la gare a été bombardée.

La veille, j'avais vu l'énorme foule de personnes qui y étaient rassemblées, essayant toutes de fuir la ville. Bombarder une gare... c’est inqualifiable.

Le lendemain du bombardement de Kramatorsk, nous repartons pour la même région : cette fois nous allons à Slovyansk, la gare juste au-dessus de Kramatorsk. En chemin, on nous informe que nous allons évacuer 64 patients, notre capacité maximale étant désormais de 54. Plan B, donc : les chemins de fer nous donnent un wagon supplémentaire. Ceux qui peuvent encore marcher seront emmenés dans celui-ci.

En chemin, nous travaillons sur le plan de triage (évaluer rapidement les besoins médicaux des patients et les répartir en fonction de leur urgence). Il est très important que cela soit fait rapidement afin que nous puissions vite prendre en charge les patients et ne pas passer trop de temps sur le quai. Stig, le médecin urgentiste du train, me demande qui je veux emmener avec moi pour le triage sur le quai. Question facile : Nastia, notre jeune infirmière vedette ! Elle est créative, réactive et fait avancer les choses. Stig hésite un moment, mais finit par acquiescer (bien vu mon gars ). Le triage de Nastia est parfait, comme je m'y attendais. That’s my girl !

Ok, le train est chargé et on y va. De nombreux patients à bord souffrent de traumatismes à la tête, ont été amputés de bras ou de jambes, ou ont des membres fracturés déjà immobilisés par un fixateur externe, de nombreuses blessures sur tout le corps, causées par des éclats d'obus et des

morceaux de fer provenant des bombes. La plupart des bandages sont très sales, nous essayons de remplacer les pires. Mais ce train est tout sauf un hôpital, donc les possibilités de laver les blessures sont limitées. Mais nous faisons de notre mieux : un peu de créativité permet déjà de faire beaucoup.

Nous avons avec nous une vieille dame qui n'est vraiment pas en bon état : elle a une plaie au cou, une respiration difficile, une saturation de 75, une pression sanguine basse, une sonde stomacale, une sonde vésicale, une sorte de drain abdominal et une plaie à la jambe. Quand j'essaie de la retourner, je remarque qu'elle est couchée sur un tas de vieux chiffons, pleins de sang. J'essaie de nettoyer ses blessures du mieux que je peux. Pour lui donner les meilleures chances de survie, nous décidons de la transférer dans un hôpital de Kyiv, où les hôpitaux fonctionnent encore assez bien. Il y a également une équipe de Médecins Sans Frontières sur place.

Après le transfert, nous repartons et arrivons à Lviv vers 19 heures. Normalement, c'était ma dernière évacuation mais j'ai déjà décidé d'en faire une autre. Mon remplaçant est arrivé et je peux mieux expliquer mon travail "sur le terrain" qu'au bureau. Je trouve également difficile de laisser mon train derrière moi, même si je suis très fatiguée. Nous avons deux heures avant de devoir repartir. Une douche rapide et c'est parti !

weeskinderen

DIMANCHE 10 AVRIL : UN WAGON REMPLI D'ORPHELINS

Ce sera vraiment notre dernière évacuation. Direction Zaporijjia avec pour mission l’évacuation d’un orphelinat. Au total, 80 enfants, presque des tous petits bébés et quelques enfants « plus âgés », le plus vieux ayant six ans. Soyons clairs, ces enfants étaient déjà orphelins avant la guerre. Cinq wagons supplémentaires sont accrochés à notre train : 1 pour leurs bagages et 4 wagons-couchettes. A cela s’ajoute comme toujours notre wagon-couchette et 2 wagons pour les patients.

Il s’agit cette fois d’une évacuation quasi-exclusivement pédiatrique. Nous sommes accompagnés d’un cortège de soignants, avec les bébés emmitouflés dans des tenues de ski de toutes les couleurs. Et des paquets de langes, des jus, du lait, des matelas, des couffins… L’embarquement et le chargement se font sans le moindre problème, et les bébés sont très calmes. Un gamin d’environ cinq ans me tire par la manche et m’assaille de questions. Il semble qu’il veuille connaître mon nom, lui, il s’appelle Bogdan. Un chouette petit gars.

D’autres patients montent aussi à bord. Parmi eux, une jeune fille de 14 ans qui a été grièvement blessée à Marioupol. Après quelques péripéties, ce petit groupe est arrivé à Zaporijjia. De là, ces patients espèrent pouvoir rejoindre la Pologne, via Lviv. L’adolescente est très silencieuse et pâle, tout ce qu’un ado de 14 ans ne doit pas être. Un des garçons a l’âge de mon fils. Son visage est couvert d’une plaie étendue.

Comme nous nous occupons non-stop des évacuations depuis dix jours déjà, tout le monde est sur les genoux. J'envoie tout le monde au lit et je me charge de veiller la nuit (c’est de toute façon ce que je préfère).

La nuit, je fais ma petite ronde dans les wagons, ceux où dorment les petits de l’orphelinat et ceux avec les autres patients. Je m’attends à ce qu’il y ait énormément de bruit mais c’est étonnamment calme. Les enfants dorment ou babillent ; j’entends quand même des pleurs. Je continue alors ma visite des wagons. Je vois un bébé qui tient un biberon et essaie de boire mais qui n’y arrive pas. C’est une petite fille, qui doit avoir 3 ou 4 mois. Comme la soignante est occupée avec un autre bébé, c’est moi qui lui donne le biberon. C’est une adorable petite, elle vide son biberon en un clin d’œil, fait un rot et sourit tout le temps.

Je suis vraiment contente d’avoir participé à cette dernière évacuation. Merci mon chéri et mes enfants de m’avoir laissée partir. Maintenant, il est temps de rentrer à la maison.