Accord migratoire Italie - Libye : cinq années de violences et d'exactions, avec le soutien de l'Union Européenne
Mercredi 16 février 2022
Le 2 février 2017, l’Italie signait un accord avec la Libye, avec le soutien de l’Union Européenne. Le but de cette entente ? Pouvoir intercepter en mer les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile qui tentent de fuir la Libye ; afin de les renvoyer systématiquement vers les centres de détention libyens, alors que cela est totalement illégal.
Cinq ans plus tard, ces abus se poursuivent : des milliers de personnes fuyant la Libye sont prises au piège dans un cycle d’exploitation, d’extorsion, de torture et de détention arbitraire.
« Nous avons été vendus, puis frappés avec des bâtons pendant 3 mois »
Kouassi*, un ivoirien de 23 ans, est l'une des personnes que nous avons pu sauver en mer avec notre navire de recherche et de sauvetage, le Geo Barents. Il raconte avoir été vendu à des trafiquants d’êtres humains en Libye, puis y avoir été détenu pendant trois mois en 2020.
« Les gardes nous ont mis des chaînes aux chevilles et aux poignets », a déclaré Kouassi. « J'ai de nombreuses cicatrices sur mes chevilles. J'ai passé trois mois menotté. Ils nous battaient avec des bâtons en bois et en métal. J'ai encore des cicatrices de coupures de couteau dans le dos. Nous avons été emmenés et vendus dans une maison dans le désert. Ils nous ont pris tout ce que nous avions sur nous et ont demandé 800 euros à nos parents pour notre libération. »
Quelle vie pour les personnes en fuite en Libye ?
En 2021, plus de 32 400 migrants, réfugiés et demandeurs d'asile ont été interceptés et renvoyés de force dans des centres de détention libyens.
Comme Kouassi, des milliers de femmes, d'enfants et d'hommes sont victimes de la traite, de l'exploitation, de la détention arbitraire, de la torture et se voient extorquer de l'argent en Libye simplement parce qu'ils sont des migrants, réfugiés ou demandeurs d'asile.
À leur arrivée dans le pays, nombre d'entre eux sont kidnappés et gardés en captivité par des milices ou d'autres groupes armés ou utilisés par les trafiquants d'êtres humains et les passeurs, comme monnaie d'échange. Les migrants, réfugiés et demandeurs d'asile vivant dans les villes sont discriminés, persécutés et confrontés à des arrestations massives et des incarcérations arbitraires.
« Un étranger est comme un diamant de sang, on peut l'enlever pour en tirer de l'argent »
Mustafa*, originaire du Mali, a vécu en Libye pendant plusieurs années. Il témoigne : « Un étranger est comme un diamant de sang : on peut l'enlever pour en tirer de l'argent. De l'argent pour être libéré, puis peut-être à nouveau kidnappé. Ceux qui meurent en prison sont jetés dehors comme s'ils étaient des animaux. Leurs familles ne savent même pas où ils sont enterrés. Des milliers de personnes souffrent ici et l'Europe finance ce système de souffrance. »
LE RAPPORT DE l’ONU FAIT état de ces crimes contre l’humanité, mais l'europe continue à fermer les yeux
Plusieurs rapports internationaux, accompagnés de milliers de témoignages de survivants, ont documenté le traitement odieux infligé aux migrants, réfugiés et demandeurs d'asile en Libye. En novembre 2021, la mission d'établissement des faits de l'ONU en Libye a conclu que ces violations constituent des crimes contre l'humanité.
Pourtant, les gouvernements européens ont continué à fermer les yeux sur ces crimes. Les preuves accablantes ne les ont pas empêchés de conclure des accords avec les autorités libyennes pour contrôler la migration vers l'Europe.
encore pire : l'europe finance ces crimes, en soutenant L’ACCORD ENTRE L'Italie et la libye, au détriment des droits humains
En février 2017, le gouvernement italien a signé un accord parrainé par l'UE avec le gouvernement libyen : le protocole d'accord sur les migrations, qui a été renouvelé en 2020, pour trois années supplémentaires.
Dans le cadre de cet accord, l'Italie et l'UE aident les garde-côtes libyens à renforcer leur capacité de surveillance maritime, en leur apportant un soutien financier et des moyens techniques. Depuis 2017, l'Italie a reversé 32,6 millions d'euros pour les missions internationales de soutien aux garde-côtes libyens, et 10,5 millions d'euros seront alloués en 2021.
« J'ai été détenu pendant un an, seul et dans l'obscurité la plus totale »
« J'ai été torturé et battu », raconte Bashir, 17 ans, originaire de Somalie. Pendant un an, il a été enfermé, dans la solitude et l'obscurité totale d'une cellule exiguë. « Les gardes ont pris du plastique brûlé et l'ont étalé sur mon corps. J'étais détenu dans une petite pièce, sans rien, même pas de fenêtre. J'y suis resté pendant un an. Quand j'ai été libéré, le premier jour, je n'ai pas pu marcher sur mes pieds parce que je ne pouvais pas ouvrir mes genoux. Et je ne pouvais rien voir parce que j'étais resté dans le noir pendant un an. »
En l’absence d’itinéraire sûr et légal pour fuir la Libye, le seul chemin vers la sécurité est la traversée de la mer Méditerranée
De nombreux survivants racontent avoir tenté à plusieurs reprises de traverser la mer Méditerranée, qui est considérée comme la route migratoire la plus meurtrière au monde.
Les gouvernements européens ont choisi la défense des frontières plutôt que le respect des droits humains
« Les personnes qui traversent la Méditerranée n'ont pas d'autre choix », explique Juan Matias Gil, chef de mission MSF pour les opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. « Les gouvernements européens ont le pouvoir de décider des politiques migratoires, mais ils ont choisi les stratégies de dissuasion et la défense des frontières plutôt que le respect des droits humains et la protection de la vie des gens. »
« Plutôt que de créer des alternatives volontaires, légales et sûres à la traversée de la Méditerranée, l'UE et l'Italie ont conclu un accord dans lequel la Libye sert de lieu de confinement des migrants, réfugiés et demandeurs d'asile », explique Gil. « Pendant ce temps, l'Europe détourne le regard tandis qu'en Libye, un système d'exploitation, d'extorsion et d'abus est financé et encouragé par l'UE et l'Italie. »
Nous demandons au gouvernement italien et aux institutions de l’UE de mettre fin à ce soutien politique et matériel
« Nous demandons instamment au gouvernement italien et aux institutions de l'UE de mettre fin à tout soutien politique et matériel direct et indirect au système qui consiste à renvoyer les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile en Libye et à les y détenir. »
En Méditerranée centrale, MSF a sauvé plus de 80 000 vies
Depuis 2015, MSF mène des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale et travaille sur huit navires de recherche et de sauvetage différents, parfois en partenariat avec d'autres ONG. Au cours de cette période, nos équipes ont contribué à sauver plus de 80 000 vies.
*les prénoms ont été modifiés pour préserver l'anonymat des témoins.